2 - "Je ne sais pas où je vais... mais j'y vais!"

Londres, Mars 1891

Cher journal,

Les choses ne se sont pas vraiment améliorées pour moi ces derniers temps: les photos paient toujours aussi peu et les conditions sont toujours déplorables. Mais, me croiras-tu, j'ai enfin posé habillée!

Je vais commencer par le commencement, c'est peut-être plus logique ainsi. Et puis cette journée a été tellement étrange que je voudrais m'en souvenir dans les moindres détails.

 
Aujourd'hui, un homme est arrivé en grand équipage. Il avait un beau costume, une voiture élégante, un valet... On voyait tout de suite qu'il était extrêmement riche.


Ce qui m'a marquée c'est qu'il y avait quelque chose en lui... quelque chose de bestial, d'effrayant. Les autres filles n'ont pas semblé le remarquer: elles étaient trop occupées à essayer d'attirer son attention! Mais pas moi: il me faisait froid dans le dos.



Après s'être entretenu avec les photographes (puisqu'il faut bien les appeler ainsi) il s'est placé au milieu de l'entrepôt et a exigé que toutes les filles s'alignent devant lui. Puis, lentement, il est passé devant chacune de nous.


Je baissais les yeux.J'espérais un peu qu'ainsi il passerais sans me remarquer. Mais après nous avoir toutes examinées de la tête aux pieds, il est revenu se planter devant moi. "Elle!" a-t-il dit sans me regarder. Puis il est remonté dans sa magnifique voiture et il est reparti.


Son valet a alors pris les choses en main. Une équipe a commencé a décharger de lourdes caisses d'un véhicule que je n'avais pas remarqué jusque là. D'autres les ouvraient et disposaient le contenu sur les quelques étagères qui trainaient dans un coin.


Un homme s'est approché de moi. Il m'a demandé gentiment de le suivre et d'enfiler la tenue qu'il me tendait. J'ai eu le droit de m'abriter derrière un paravent pour me changer! Pour la première fois, je n'avais plus l'impression d'être une poupée qu'on habille et (surtout) déshabille à sa guise.


Quand je suis revenue, des tissus avaient étés disposés pour former un décor. Je n'avais jamais rien vu de si simple et pourtant de si élégant. J'avais presque peur d'approcher. Mais l'homme est revenu et, toujours aussi gentiment, m'a donné des indications pour me placer. 



Cela faisait bien longtemps que je ne m'étais pas sentie si heureuse. La terreur que m'avaient inspiré le riche homme était complètement dissipée. A ce moment là, je ne pensais pas que je le reverrais un jour...

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