1 - "It's just work"

Londres, hiver 1890


Cher journal,

J'ai enfin trouvé un travail... enfin, si on peut appeler ça travailler. Ce n'est pas éprouvant physiquement mais moralement, j'en ressort épuisée. Quand je rentre, je me plonge dans un bain dont je peine à sortir. C'est que je me sens si salie! 



 Depuis l'arrivée de la photographie, les filles comme moi sont embauchées comme modèles.

Il ne faut pauser aucune question, ne faire aucun commentaire. Il faut se mettre où on nous le dit, quand on nous le dit. Celles qui ne réagissent pas assez vite sont mises à la porte sans un penny.



Mais il fait si froid! Tout le monde meurt de faim. Alors, pour avoir de quoi s'acheter un morceau de pain rassi, il faut oublier, le temps d'une séance, que l'on est un être vivant.


Moi je me dis que je suis une poupée. Comme celles qu'on voit parfois dans les vitrines des magasins: ces belles poupées aux robes si soignées. Des robes que je n'aurai jamais l'occasion de porter.


Je ne suis qu'une poupée entre leurs mains. S'ils me disent "tourne toi", je me tourne. S'ils veulent que je sois nue, je me déshabille... Quand j'ai de la chance, je peux garder un peu de tissus sur moi.
Il fait terriblement froid dans l'entrepôt où ils ont installés leur matériel.




Mais eux ne s'en soucient guère. Ils savent que d'autres sont prêtes à prendre ma place si je fais mine de me rebeller. Alors je me tais. Je rêve parfois qu'un gentleman arrive me sauver de cette vie sordide.



J'essaie parfois d'imaginer ses traits: blond? brun? de beaux yeux, remplis de douceur. Et un beau costume, taillé pour lui dans les boutiques les plus célèbres de Paris. Pas comme les vieilles fripes ces brutes mal élevées.


Je deviendrais une lady et je porterais des robes somptueuses. Je n'aurais plus jamais à vendre mon corps à ces soi-disant photographes. Mais ce lord se fait toujours attendre. Alors, pendant que le froid m'engourdit peu à peu, je redeviens une poupées sans sentiments.


Et je me dit: "ce n'est que pour gagner de quoi vivre. Il faut bien vivre. Un jour ça ira mieux" 
Je cache mes larmes pour ne pas les fâcher. Et sur le chemin du retour, je me répète "ce n'est que du travail."

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